Se battre jusqu'à en avoir mal
au corps et au coeur

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L’armée. Encore et toujours. Visiblement tout était fait de sorte que l’armée soit au cœur de tout. Comme si subtilement, la vie tentait de rappeler à chacun à quel point elle est précieuse et fragile. Addoth avait servit son pays pendant près de dix ans. Dix ans de bons et loyaux services qui s’étaient soldés par un échec des plus total. Maintenant, il en arrivait parfois à haïr les siens, haïr les soldats, haïr tout ce qui pouvait lui rappeler qu’il avait été un grand homme, resté dans l’ombre. Comme son père et comme son grand-père avant lui, il avait fait la guerre du mieux qu’il le pouvait. Il avait tué des gens en croyant bien faire et on l’avait récompensé avec de vulgaires grades. Il était respecté par ses paires, c’était certain. Mais les autres ? Personne ne savait qui il était, personne même ne semblait s’en soucier. Personne non plus n’avait cherché à savoir quels Navy Seals, à quatre heures du matin en Irak, avaient abattu l’homme le plus recherché du monde. Comme si cela n’avait pas la moindre importance. Il n’avait pourtant jamais réclamé la moindre reconnaissance. Il n’avait jamais demandé à ce que la Terre entière sache qui il était, lui ; le soldat Ryan Mausar. Non, il aurait simplement souhaité un peu de douceur dans ce monde. Un peu de bienveillance. Comme si naïvement, il avait cru qu’en tuant un monstre à l’autre bout du monde, il allait réussir à sauver ceux qu’il aimait, chez lui. Sauf qu’à l’heure actuelle, le monde semblait peu à peu devenir se brasier géant dont on perd le contrôle. Tous se berçaient dans l’illusion que tout allait bien, tout en sachant pertinemment que tout n’allait pas bien justement. Et c’était là le constat affligeant d’un homme qui avait donné de sa vie pour son pays.

Addoth posa son sac au sol et consulta l’heure sur son téléphone. La salle allait bientôt entièrement se vider, puis se remplir petit à petit de vieillards au même constat que lui. Des cours de self-défense réservé aux anciens soldats des armées des Etats-Unis. Sur le papier, ça avait l’air un peu soporifique, alors qu’en réalité, c’était un moment agréable que le tatoué avait découvert un peu par hasard, en passant un jour devant la salle de sport. C’était plus comme un cours d’aide au développement de soi, que quelque chose de sportif. Le but était de réussir à se livrer sur sa vie après la guerre, sur ses désillusions, et sur beaucoup d’autres choses, qui ne pouvaient être dite qu’à des soldats. Lui-même n’avait encore jamais parlé, mais il avait écouté avec soin ceux qui avaient eu le courage et la force d’y parvenir. Chacun avait son histoire, son vécu, et étrangement, même si tout était différent, il avait l’impression de pouvoir comprendre les peines de chacun comme si c’était ses peines a lui.

Mais pour l’heure, la salle était encore pleine et il n’avait pas franchement envie d’attirer l’attention des autres. Il captait déjà quelques regards curieux et ce soir il n’avait ni la force ni l’envie de les affronter. Il préféra aller se réfugier dans une petite salle, sur le côté, le temps que toute cette foule rentre chez elle. Cette petite salle, c’était une sorte de mixte entre une salle de repos et une buvette. Et généralement, quand les salles du complexe étaient pleine, ici, il n’y avait personne. Alors Addoth s’approcha du petit comptoir et s’installa sur un tabouret, avant de tendre sa bouteille d’eau à moitié vide au gérant. « Tu peux me la vider et me la remplir avec ton mélange sportif à l’ananas s’il te plait ? J’ai bien aimé la dernière fois ! Et puis ajoute-le sur ma note ! » . Il l’aimait bien ce gars, tout de suite ça avait collé entre eux niveau feeling. Parfois ils discutaient hockey et baseball tous les deux, et même s’ils n’étaient pas d’accord sur l’intérêt du Superball, au moins ils s’entendaient bien. Le gars s’exécuta et Addoth sourit. Puis, il songea de nouveau au groupe d’entraide qu’il avait rejoint sans trop y croire, jusqu’à ce qu’un petit bout de femme déboule et vin s’asseoir sur le tabouret à côté du sien. Le tatoué préféra ne pas trop la regarder, pour éviter de paraitre grossier, mais aussi -et surtout- pour ne pas l’effrayer quand elle se rendrait compte qu’il était à côté d’elle. Il la vit juste assez pour constater qu’elle pleurait et, bien qu’il ne soit pas trop à l’aise avec ce genre de choses, il tiqua. Elle allait probablement avoir besoin d’un mouchoir. Alors il farfouilla dans son sac pendant quelques secondes, puis posa un paquet sur le comptoir, juste à côté d’elle, sans dire le moindre mot. Il porta ensuite son attention à la télé fixée au mur, en songeant que pleurer dans le coin, ce n’était pas quelque chose de commun.

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Le temps passait beaucoup trop lentement aux yeux de l’ancien soldat qui devait bien admette qu’il n’était pas agréable pour lui de devoir attendre autant de temps avant que la séance ne débute enfin. « Merci beaucoup.. J’espère que vous n’en avez plus besoin, car je ne suis pas sûre de vous le rendre plein.. » Addoth haussa les épaules sans rien dire. Il n’avait plus réussi à pleurer depuis la mort de son père et ne se sentait pas capable de le refaire à nouveau un jour. Et puis ça n’était que des mouchoirs après tout, il n’allait pas en faire un drame. Même s’il avait subitement envie de se moucher, par cette chaude soirée. C’est à peu près à ce moment-là que la jeune femme en larme se tourna sur son tabouret pour lui tendre la main. « Je m’appelle Anna » L’ancien soldat attrapa la main qu’on lui tendait et il la serra avant de hocher la tête « Addoth. » Ouais, il n’avait jamais été du genre super bavard et il l’était encore moins avec les gens qu’il ne connaissait pas. Pas parce qu’il était du genre renfermé ou ermite, mais juste parce qu’il ne savait jamais réellement trop quoi dire pour ne pas paraitre un peu étrange. Et puis son physique actuel n’aidant pas, il avait beau être poli et courtois, il finissait toujours par paraitre étrange pour certaines personnes.

Il soupira et attrapa la bouteille juste devant lui pour en boire une toute petite gorgée. Il avait un peu chaud et même ici, il avait l’impression de subir l’été de plein fouet. Alors qu’il devait très probablement y avoir la climatisation dans tout le complexe sportif en fin de compte. Mais c’était très probablement parce qu’il appréhendait un peu son futur cours. Alors pour se changer les idées, il décida de réfléchir à la présence de la jeune femme juste à côté de lui. Elle pleurait, soit à cause de la fatigue liée à un exercice physique trop intense, soit à cause d’un homme. Parce que c’était souvent à cause d’un homme que les filles pleuraient, selon lui. Il se pencha légèrement en avant et soupira. « Je sais que je suis mal placé pour dire quoi que ce soit puisqu’on ne se connait pas, mais la prochaine fois que vous croisez ce type, balancez-lui votre poing au visage, ça lui fera les pieds. » Il haussa les épaules avant de rectifier un peu ses propos « Ou alors le contenu de votre bouteille d’eau, pour lui rafraîchir les idées. » Satisfait, il hocha doucement la tête, fier de lui-même. Oui, la bouteille d’eau, c’était une très bonne idée en fin de compte. Puis finalement, il reporta son attention à la petite télévision.

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Elle ressemblait à un vieux crapaud en fin de vie. Ou a une personne âgée qui avait fait une réaction allergique à une pommade spécifique. Avec ses yeux gonflés par les larmes et ses joues rouges, il avait l’impression d’avoir affaire à une petite fille qui avait perdu sa maman dans un grand centre commercial. C’était attendrissant mais cruellement triste à la fois et Addoth, qui n’avait jamais trop su s’y prendre avec les autres se sentait une fois de plus totalement incapable de faire quoi que ce soit. Sa nature bienveillante le poussait à lui venir en aide, mais en même temps, il n’était pas vraiment sûr de savoir comment agir pour cela. La seule chose qu’il se sentait capable de faire, c’était de poursuivre cette conversation dans l’espoir que cela ne lui change les idées et que sa tristesse passagère passe un peu. Elle avait dit s’appeler Anna. C’était un prénom relativement courant, il devait bien l’admettre, cependant, il songea l’espace d’un instant qu’elle était la première Anna qu’il rencontrait depuis son installation dans la ville. Une sorte d’anecdote pas vraiment importante, mais qui avait saisit son esprit avec force et vigueur. Elle était la première. « Je n’avais pas de bouteille sur le ring.. Et il aurait sûrement trouver ça louche et serait parti comme un lâche.. Mais mon poing effectivement aurait pu atterrir dans son si joli nez.. Même si selon lui mon crochet du droit n’est pas assez puissant et précis.. » Addoth la regarda de nouveau, un peu surprit par sa réponse. Elle avait l’air d’être sacrément en rogne contre ce type, qui devait être son adversaire du soir. Il songea qu’il n’aurait pas aimé être à la place du type et sourit doucement à l’intention de la jeune femme. « Et c’est moi qui suis partie comme une lâche. » Cette fois-ci le tatoué secoua la tête en guise de protestation. Il n’appréciait pas vraiment de voir que certaines personnes, par moment, pouvait se rabaisser bien en deçà de ce qu’elles étaient réellement. Les lâches, il avait bien connu ça quand il était soldat, et elle n’en avait pas le moins du monde l’air. « Permettez-moi de ne pas être d’accord. Le lâche est celui qui attaque vicieusement, sa victime ne l’est pas. » Il n’insista pas davantage sur ce sujet. Après tout, il ne se connaissait ni d’Eve ni d’Adam et il ne se voyait absolument pas lui donner le moindre conseil sur ce qu’elle venait de vivre. Elle était probablement assez grande et forte pour résoudre ses problèmes seule.

C’était un sentiment drôle tout de même, que de faire la conversation avec une parfaite inconnue qui ne s’était pour le moment pas encore montrée impolie. Il avait bien vu qu’elle l’avait dévisagé -comme tout le monde d’ailleurs- mais son regard n’avait pas dû s’attarder plus d’une demi minute sur son visage et elle n’avait rien dit à ce sujet. Elle n’avait pas non plus eu le moindre mouvement de recul ou la moindre réaction négative, et là, c’était quelque chose de très appréciable pour lui. « Vous attendez votre cours ? » Addoth se redressa légèrement sur son siège et la regarda quelques secondes. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait répondre à ça, d’autant plus si elle devenait curieuse sur le contenu de son cours. Pas que ça le dérange d’en parler, au contraire, il se sentait de plus en plus libre avec ce sujet, mais il avait bien remarqué le changement d’attitude des gens, lorsqu’il se mettait à parler de ce qu’il faisait, avant sa nouvelle vie. Il hocha donc lentement la tête dans un premier temps, puis contempla ses mains qui tenaient toujours sa bouteille. Que devait-il faire ? Finalement il se lança, sans trop réfléchir, se disant que c’était probablement ce qu’il avait de mieux à faire dans ces circonstances. « Eh bien oui. Mais je suis en avance comme toujours et comme il y a encore un peu trop de monde… » Il marqua un instant de réflexion avant de reprendre avec un léger sourire « Mais je ne vous retourne pas la question, j’imagine que le vôtre est terminé. »